26 nov. 2012

L'ENJOMINEUR 1792, de Pierre Bordage

Dans la France en proie aux tensions exacerbées de cette année 1792, ce roman nous entraîne à la suite de personnages hauts en couleurs, dans un monde passionnant, que ce soit dans son réalisme historique ou sa fantasy savamment dosée et intégrée dans ce cadre réaliste.


Éd. J'ai lu — 2009 — 472 p.

* * *

"Il s'en est passé des choses en deux ans.
— À Saint-Domingue, j'ai entendu parler de la fuite et de l'arrestation du roi. Et aussi de l'obligation faite aux curés de prêter serment à la Constitution..."

1792. La tension monte en Vendée, et dans la France en général. Les dissensions se font toujours plus fortes, et bientôt chacun sera forcé de choisir un camp. Il n'y aura plus de place pour l'indécision ou la neutralité.

Cette période historique, la Révolution française et notamment les années 1792 à 1794, est passionnante à tous les niveaux, par les bouleversements qu'elle entraîne, mais aussi parce qu'elle touche dans sa violence et passion toutes les strates de la société française. Ces bouleversements ne sont pas uniquement ceux des dirigeants, et c'est bien en se plaçant au niveau des petites gens que Pierre Bordage nous plonge dans cette époque.


"Ta qu'aimes bé les idées nouvelles, ta qu'aimes ni les curés ni le roi, te s'rais sans doute meu avec les autres, là, tchés fils de vesse de patriotes, tchés parpaillots, plutôt qu'avec nous autres à la paroisse."

Les deux protagonistes que nous suivons, d'un chapitre à l'autre, sont très différents l'un de l'autre, de même que le sont les mondes qu'ils nous permettent de voir à travers eux.

Émile vit en Vendée, dans cette campagne que raconte si bien Pierre Bordage. Cette campagne habitée par des gens simples, avec leurs traditions et leurs croyances, cette campagne qui se retrouve déchirée par des idées pourtant parfois bien éloignées de la réalité de tous ces gens. Élevé par un prêtre progressiste, Émile a une pensée construite, plus érudite que beaucoup des personnages qui croiseront sa route, et plus moderne aussi, ce qui est plus aisé pour s'identifier à lui. Je pense que la plupart des lecteurs se retrouveront dans son opinion modérée, sa volonté de trouver une solution conciliante, d'éviter le conflit en raisonnant tout le monde et calmant les passions. Cela dit, il essaie surtout de vivre sa vie en restant à l'écart des ennuis. Il va de soit que ça ne sera pas aussi simple.

Cornuaud revient quand à lui de deux ans sur les mers et à Saint-Domingue. C'est un personnage très peu fréquentable, c'est le moins qu'on puisse dire. Mêlé aux milieux du crime organisé à Nantes, il a préféré prendre le large durant ces deux années afin de se faire un peu oublier. Lorsqu'il revient, du travail l'attend, beaucoup de travail. Car en ces temps troublés, on a bien besoin d'hommes prêts à tout, prêts à se salir les mains et plus encore.
Quand je dis qu'il est peu fréquentable, je suis tellement en dessous de la réalité qu'il faut que je rectifie ça tout de suite. Cornuaud est un sale type. Une foi, durant ces deux années à servir sur un négrier, il a violé une (très) jeune esclave devant les autres captives. Problème pour lui : une des captive l'a enjominé. Ensorcelé par cette forme de vaudou, il sentira la pression s'accroître toujours plus, et le pousser à tuer pour se soulager, en attendant de peut-être trouver un moyen de se défaire de l'emprise de l'enjomineuse.


Paris était devenu un gigantesque foutoir après la chute de la royauté. L'Assemblée avait perdu tout contrôle sur la Commune de Paris, la grande triomphatrice du 10 août. Le pays était livré aux mains des sectionnaires, des fédérés, d'individus analphabètes, ivrognes et revanchards que contrôlaient à grand-peine le Club des cordeliers et les meneurs les plus influents.

La réalité historique est retranscrite de manière très fidèle, du moins en ce que je peux juger. À travers le quotidien des gens, urbains ou ruraux, leur caractère et leur phrasé (la retranscription de l'accent et du patois des paydrets est juste géniale !) mais aussi la trame historique de cette année 1792. Ainsi retrouve-t-on bien les différents évènements marquants de cette révolution, bien qu'ils soient assez souvent amenés dans le récit de façon assez distantes car les personnages que nous suivons n'y prennent pas en général pas part directement.

Cependant, ce n'est pas un roman historique. C'est bien un roman de fantasy. Dans ce premier tome, cela transparaît doucement, et j'ai trouvé ça très bien intégré à un fond historique qui est solidement maîtrisé et se déroule avec précision. Ici, pas de magie de feu d'artifice : on parle plutôt d'un côté de vaudou, et de l'autre de croyances et d'une sorte de petit peuple. J'ai trouvé d'ailleurs très intéressant que le premier soit lié, dans ce premier tome en tout cas, au personnage urbain, et le second au personnage rural : les deux atmosphères sont réellement différentes, même si ce sont les mêmes évènements qui les bousculent et les transforment.

Pierre Bordage introduit également une société secrète rassemblée autour du culte du Mithra, qui serait derrière une partie de ces évènements historiques. Si elle est finalement peu présente dans ce premier tome, elle devrait prendre progressivement de l'importance dans l'intrigue. Je ne sais pas si dans les deux autres tomes (1793 et 1794) la trame historique sera respectée comme dans ce premier tome ou si l'intrigue aura tendance à s'en écarter. Je penche pour la première hypothèse, ne serait-ce que parce que Pierre Bordage s'en sort magnifiquement dans ce premier tome.

* * *

J'ai beaucoup aimé ce premier tome. Évidemment, j'ai bien conscience de ne pas être objectif, parce que cette période historique est celle qui me passionne par excellence et que de base je suis vendéen alors quand je lis le patois j'ai l'impression d'entendre mes grands-parents parler, ce qui est assez saisissant (je ne me lasse pas de ces dialogues, de la manière qu'a Pierre Bordage d'écrire cet accent)

J'ai adoré plein de choses dans ce livre, mais finalement si je devais en retenir seulement deux ce seraient les personnages, profondément humains, attachants, passionnants, si réels, et puis aussi l'absence de tout manichéisme. Ce dernier point est finalement celui, je pense, me fascine le plus dans cette période historique : les dissensions se creusent, et les clivages se font si passionnés que cela mènent à des atrocités impensables. Et pourtant, il n'y a pas un moment charnière, il n'y a pas une faction qui serait dans l'erreur, ou une manipulation d'un responsable. Tout était là. Il aura suffit d'un souffle sur les braises pour que tout s'enflamme.

J'ai hâte de découvrir la suite. Je sais ce qui vient, dans les évènements historiques, mais je suis impatient d'en lire la version de Pierre Bordage et de sa Fantasy si bien contée.
Je m'attaque au tome suivant sans plus attendre.

La suite : L'Enjomineur 1993

4 commentaires:

J'adore Pierre Bordage, un de mes auteurs préférés ! C'est vrai que L'Enjomineur n'est pas le plus facile à lire, mais je l'ai lu quand j'habitais en Vendée, ce qui était intéressant au niveau historique et du patois !

C'est le premier livre de Pierre Bordage que je lis. J'aime beaucoup, j'ai hâte de découvrir le reste de son oeuvre !

Alors je te conseille Abzalon et les Fables de l'Humpur !

C'est noté, merci !
Je viens d'aller lire les résumés, et ça me donne trop envie ^^

Enregistrer un commentaire

 

Code en W.I.P